Depuis plusieurs années, les batteries lithium-ion se positionnent comme la solution pour assurer la transition énergétique : mobilité électrique, stockage pour pallier l’intermittence des énergies renouvelables, équilibrage du réseau… la batterie lithium-ion semble utile à tout. Mais la technologie n’a réellement émergé que dans les 15 dernières années, grâce à une utilisation dans l’électronique de masse. Depuis, c’est grâce aux investissements massifs dans les véhicules électriques que la technologie progresse. En moins de 20 ans, les dépôts de brevets sur les technologies lithium-ion ont été multipliés par sept.

Alors que la demande croît fortement pour les applications mobiles (véhicules électriques particuliers notamment), la question se pose quant à la rentabilité de tels investissements pour des applications stationnaires (batteries couplées à des sources d’énergie renouvelable, ou bien pour équilibrer le réseau électrique), malgré la chute du coût des batteries.

Les batteries : l’essor d’un type de stockage parmi d’autres

Il existe de nombreuses technologies capables d’assurer un stockage intermittent pour répondre aux pics de demande d’électricité, comme par exemple les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), mécanisme utilisé dans les barrages hydroélectriques. Mécanisme historique, les STEP représentaient 91% de la capacité de stockage installée au niveau mondial en 2019. À côté de cela, les batteries ne représentaient que 5% de la capacité, le stockage thermique 3% et les autres technologies (stockage par air comprimé, volants d’inertie, hydrogène…) moins de 2%.

Ce sont les batteries, dont il faut distinguer les technologies, qui connaissent aujourd’hui une demande exponentielle. Alors que les accumulateurs sodium-soufre, les batteries au plomb et les batteries lithium-ion se partageaient le marché en 2012, ce sont les batteries lithium-ion qui ont depuis pris le dessus, représentant 93% des nouvelles capacités installées en 2018. Par sa grande capacité d’accumulation d’énergie par unité de masse, la technologie lithium-ion s’est développée dans l’électronique de masse dans les années 2010. Aujourd’hui elle trouve un nouveau relai de croissance dans les véhicules électriques, et dans une moindre mesure dans le stockage stationnaire.

Les enjeux « des » Lithium-ion

L’appellation « Lithium-ion » regroupe quatre grandes catégories de batteries dont la composition des cathodes diffère :

  • Les Lithium-cobalt (LCO), de grande capacité et utilisées dans l’électronique (ordinateurs, téléphones) ;
  • Les Lithium-Nickel-Manganèse-Cobalt (NMC), de meilleure puissance et durée de vie, utilisées dans l’électronique, les vélos, certains véhicules électriques et les applications stationnaires (dans les Renault Zoé et pour 60% des stockages reliés au réseau électrique par exemple) ;
  • Les Lithium-Nickel-Cobalt-Aluminium (NCA), de plus grande densité et de meilleure stabilité, également utilisées dans l’électronique et les véhicules électriques (dans les Tesla Model S par exemple) ;
  • Les Lithium-Fer-Phosphate (LFP), de meilleure longévité et stabilité, utilisées dans les véhicules électriques et pour le stockage stationnaire (en Chine principalement).

Les enjeux autour des matières premières de ces batteries Lithium-ion sont proches de ceux des terres rares (voir le précédent article à ce sujet) au niveau environnemental.

Premièrement, les différentes variantes citées intègrent du lithium mais aussi du cobalt en proportions inégales (de 9% pour le NCA et jusqu’à 60% pour le LCO). En 2019, sa production était assurée à 71% par la République démocratique du Congo, où une mine sur cinq est artisanale et où l’exploitation de plusieurs milliers d’enfants a plusieurs fois été dénoncée. Pour s’affranchir du « métal bleu », l’alternative LFP est mature et en croissance : selon le cabinet Wood Mackenzie, cette technologie pourrait atteindre 30% de part de marché dans les usages stationnaires en 2030, contre 10% en 2015.

Ensuite, l’analyse du cycle de production des batteries lithium-ion fait ressortir les émissions importantes de CO2 qu’elle engendre. Selon la technologie (LFP ou NMC), la production d’une batterie aux Etats-Unis émet entre 30 et 35 kg de CO2eq/kWh. En Chine, la production d’un même type de batterie engendre l’émission de 95 à 110 kg de CO2eq/kWh. A titre d’exemple, une Tesla Model S embarque une batterie lithium-ion de 100kWh, une Renault Zoé une batterie de 52kWh.

Enfin, le lithium et le cobalt ont un prix volatil : tiré par la demande de batteries qui constituent entre 55% et 65% des débouchés des deux métaux, le prix du cobalt et du lithium a été multiplié par 3 entre 2015 et 2018 pour atteindre 80$/kg et 18$/kg respectivement, avant de se stabiliser en 2019 et 2020 avec l’accroissement de l’offre.

Les applications stationnaires peuvent rendre de nombreux services

Au niveau stationnaire, les batteries ont également un rôle important à jouer dans la transition énergétique. D’abord, pour permettre l’accession aux 600 millions de personnes qui n’ont toujours pas accès à l’électricité et pour lesquelles les systèmes décentralisés de génération renouvelable sont les solutions les plus économiques, selon l’AIE. Ensuite, pour assurer un besoin de flexibilité croissant des systèmes électriques mondiaux, qui devront maintenir l’équilibre entre offre et demande sur un réseau qui accueillera une part croissante de production d’électricité intermittente (solaire ou éolien).

Pour assurer leur indispensable mission d’équilibrage du réseau, les gestionnaires de transport d’électricité (tels que RTE en France) utilisent différents mécanismes. D’une part, les services systèmes fréquence (précisément, la réserve primaire et la réserve secondaire)permettent de rétablir automatiquement la fréquence du réseau national en cas de déséquilibre entre la consommation et la production d’électricité, causé par exemple par l’arrêt inopiné d’une centrale. D’autre part, le mécanisme d’ajustement ou réserve tertiaire, que RTE peut activer manuellement, selon des capacités de production marginale ou d’effacement à disposition. L’effacement est le mécanisme selon lequel de gros consommateurs électriques (sites industriels…) s’engagent à couper leur consommation lors des pics de demande en hiver, contre rémunération de la part de RTE. Enfin, RTE contractualise les capacités de production ou d’effacement disponibles via le mécanisme de capacité. Par appel d’offres, ces capacités sont valorisées selon leur aptitude à faire face aux sollicitations de RTE lors des jours de pointe en hiver.

Comment valoriser ce nouvel investissement ?

Aujourd’hui, la participation du stockage à ces différents mécanismes est émergente, les différents textes réglementaires n’incluant pas les batteries de manière explicite. Cependant, le cadre évolue dans ce sens, et il est déjà possible de valoriser la capacité de sa batterie sur le réseau. Via la réserve primaire, tertiaire et le mécanisme de capacité, les développeurs de batteries peuvent contracter pour plusieurs dizaines de milliers d’euros par an par MW de capacité installée. En outre, une batterie installée sur un site industriel pourrait proposer des services complémentaires : gestion de la tension du site, économies sur la facture d’électricité par arbitrages… Enfin, , une batterie couplée à une centrale solaire permettrait d’augmenter sensiblement le taux d’autoproduction de l’installation

Dans ce contexte, la réflexion autour de la valorisation des batteries est en cours chez les différents acteurs du marché. Des agrégateurs d’effacement développent leur portefeuille de stockage, et des développeurs comme SunMind se penchent sur leur financement. Les schémas financiers ne sont pas encore clairement établis, mais une tendance se dessine ; l’empilement des services fournis par la batterie conduira à un empilement des revenus associés, et permettra aux batteries de libérer tout leur potentiel pour s’intégrer pleinement dans le réseau électrique, en plus de pallier l’intermittence des énergies renouvelables.

Sources

US Geological Survey (USGS), International Energy Agency (IEA), Rapport CyclOpe, Bloomberg NEF, Hao et. al (2017), press research

AUTEUR :
Charles Bondu, chargé d’affaires développement chez SunMind